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Francis Soulard

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Épisode 1: Les yeux d'un pion Épisode 2: La Rochelle

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Épisode 2: La Rochelle

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La Rochelle, octobre 1628

 

 

J'étais étendue sur le sol et j'observais un tableau de ma famille brûler dans l'âtre... les visages se déformant lentement dans des bulles de couleurs pour être ensuite avalés par les flammes. Le manoir était vide, nu; au fil des mois, nous avions dû nous résigner à brûler tout ce qu'il contenait afin de survivre à l'hiver dernier et maintenant que le froid revenait nous hanter avec l'arrivée de l'automne, même les souvenirs de nos ancêtres devaient être sacrifier sur l'autel de notre survie. J'observais le feu, les yeux hagards, livides, tremblotante et un creux énorme me grugeant les entrailles: la douleur de la faim qui m'habitait sans cesse depuis des mois, mais dont la douleur est toujours un supplice. Dans le miroir flanquant le foyer, j'observais mon reflet: je n'étais plus que l'ombre de moi-même, les joues creuses, le teint pâle: nous n'étions que des cadavres en sursis; mes vêtements sals et usés, sous une couverture qui était notre seule planche de salue, serré contre mon époux qui; agonisant, ne tremblotait plus: la mort viendrait probablement le délivrer bientôt. J'entendis alors un râlement, je me souvins qu'un peu plus loin, mon petit frère agonisait aussi, son souffle s'interrompit, mais je n'eus même pas la force de ramper pour l'accompagner dans ses derniers instants; il s'est éteint là, seul, sur le plancher de notre salon qui avait jadis été un de nos terrains de jeu préféré alors que j'étais enfant. Une larme coula sur ma joue, était-ce de la peine, du désespoir ou de la joie? Je sanglotai un souvenir joyeux puis, la douleur de la faim m'assailli. Je me traînai jusqu'à la hache près du foyer que je pris, me levai puis; sans sourciller, je réunis mes dernières forces afin de tailler mon petit frère en morceau. Chaque os broyer m'arrachant une autre parcelle de mon humanité agonisante. Nous en étions réduit à cette extrémité pour survivre, chaque fois que la hache frappait son corps; je maudissais les catholiques qui nous retenaient prisonniers dans notre cité dans chacune de nos maisons, le même terrible spectacle: des familles réduites à manger les cadavres de leurs proches. Je fis cuir mon frère dans les flammes du cadre de notre famille qui disparaissait. Un sourire apparut sur mon visage alors que la faim me quitta, repu par la chaire de mon frère. Comment vous donner les mots de la haine indicible qui naît en vous lorsque vous êtes soumis à un tel traitement, un agoni de souffrance, de terreur et d'immoralité sans nom: lorsque votre instinct de survie efface toute trace de qui vous avez été?

 

Nous n'avions rien mangé depuis des jours; après les chiens, les chats, les chevaux et les rats; nous avions fait bouillir le cuir de nos ceintures, de nos souliers et même des sels de nos chevaux... puis lorsqu'il n'y eut plus rien, ils ont commencé à mourir les uns après les autres. Ne pouvant sortir de la cité pour enterrer nos morts, nous devions les laisser pourrir sur la devanture de nos maisons et regarder leur regard vide jusqu'à ce qu'on les rejoigne dans la rue, il nous fallu descendre encore un autre palier de l'enfer afin de nous résigner à manger ceux que nous avions jadis aimé.

 

Il y a plus d'un an déjà, je me mariais et les 62 membres de nos familles élargies étaient réunies, lorsque nous sortîmes du Temple Protestant, les cloches de toutes la ville se mirent à sonner; nous pensâmes alors que nos parents nous avaient préparé une belle surprise... mais non, les cloches étaient les trompettes de l'Apocalypse annonçant l'arrivées des troupes infernales: Le Cardinal Rouge voulait se repaitre du cadavre de la Belle La Rochelle et pour sa, il allait l'affamer. L'orgueilleux Cardinal Richelieu assiégea la ville et tout habitant qui en sorti fut abattu par ses troupes, du moins, les plus chanceux car les femmes étaient souvent capturées pour être violée par ses soldats avant de finalement être exécutées après des jours de supplices, plantées sur une pique afin que leurs familles toujours prisonnières puissent les voir être dévorées par les corbeaux. Nous sommes rapidement descendus en enfer lorsque les provisions se mirent à manquer au terme de quelques mois. Les catholiques ne levèrent pas le siège, ils ne prirent pas la ville, ils nous laissèrent mourir: ils voulaient notre cité, pas ses habitants. Nous étions 30 000, au terme du siège; nous n'étions plus que quelques milliers; de nos familles, il ne restait plut que moi et mon époux. Cette descente aux enfers a été notre voyage de noce; j'avais 20ans.

La Rochelle, janvier 1631

 

Au plus haut sommet de la Tour Saint-Nicolas, j'observais la cité de La Rochelle qui m'avait vue naître et mourir. La belle avait été spoliée, violée et battue par ces salles chiens de catholiques et 3 ans après la fin de ses supplices, on pouvait encore voir les innombrables cicatrices du calvaire qu'elle avait dû traverser. Jadis et pendant des siècles, elle avait été un joyaux, une fierté pour ses habitants, une place forte et libre: le bastion des protestants. L'orgueil d'un Cardinal détruisit tout ses rêves, je vois encore les centaines de cadavres rachitiques de ses habitants joncher les rues de la cité, les moustiques tournoyant comme autant de nuages pestilentielles autour de ces corps inertes abandonnés à pourrir au grand air. On a affamé jusqu'à notre dignité pour nous arracher notre fierté. Je vois encore pourrir sur la devanture de notre manoir les cadavres de mes parents, de nos frères et sœurs, de nos voisins... de nos amis. Un long agoni auquel peu survécurent. Pour survivre, nous avons dû dévorer les cadavres de ceux que nous avions jadis aimé, devenir des bêtes guider par leur seul soif de survivre, une faim dévorante qui vous obsède à chaque instant vous arrachant lentement, mais sûrement toute parcelle d'humanité on nous a arraché à la vie, mais même la mort ne voulait pas de nous tant les épreuves que nous avions traversé nous avait marqué d'une haine indélébile. Je tenais la main refroidie par la mort de mon époux; nous serrions nos doigts les uns contre les autres avec une colère profonde et viscérale: nous tenions enfin l'arme de notre vengeance: la Mort et notre outil de torture: l'Éternité. Mes crocs apparurent sans que je ne puisses le contrôler à la vue de ma cité qu'on avait martyrisé et que je comptais bien venger pour tout ce qu'elle avait représenté. Je sentis alors l'odeur du sang, mon sang couler entre mes cuisses. Au crépuscule de ma vie, je ne savais pas que je portais un enfant et la mort qui ne voulut pas de mon âme damnée voulut de lui. Je portai ma main sur ma cuisse. Quand j'ai pour la première fois goûté mon propre sang, ressentie l'agitation de ma propre vie sur mes lèvres; j'ai juré cette nuit-là que je me chérirais pardessus tout.

 

La Rochelle, avril 1665

 

 

Debout au château arrière du Cat de Hollande, une belle caravelle, je regardais disparaître à l'horizon les trois tours de La Rochelle que nous avions tant aimé, qui nous avait tant appris et où nous avions tant de souvenirs. Je souris et déposai ma tête contre le flanc de mon époux qui observait aussi les tours disparaître avec émois. Le grand départ, la grande traversée; 6 semaines nous séparaient encore du Nouveau-Monde dont nous ne savions encore rien, mais qui nous tendait les bras. À nos côtés, et faisant avec nous la traversée, notre Sire et nos enfants; nous pouvions être confiant du navire qui nous transportait car il avait été réalisé sous la supervision d'Alban; mon fils. Nous étions aussi rassuré de savoir qu'après nous, des milliers de visages se tourneraient à leur tour vers les Trois Tours de La Rochelle disparaissant à l'horizon alors qu'eux aussi amorceraient leurs ultimes et grandes traversées vers la Nouvelle-France. Nous avions grand espoir que, là-bas, les protestants ne seraient pas persécuté comme ils le sont dans le vieux continent et nous comptions bien nous ériger au sommet de la société des immortels pour y veiller car en plus des membres de la Maison du Lys d'Or, des dizaines de passagers des flots et du temps faisaient la traversée et avec nous, ils avaient en commun de partager la foi protestante, une solide éducation et un savoir-faire typique de l'élite protestante de La Rochelle, ainsi les premiers Beaudoin, Chevalier, Crépeau, Soulard, Villeneuve ou encore Villerois étaient aussi du voyage et seraient les premières pousses de notre jardin.

 

Il y a rarement de ces moments de promesses et d'espoirs dans l'Éternité, qui se déploie avec une certaine insouciances vous ouvrant le chemin des possibles; je ne savais pas encore que de tous les visages qui m'accompagnaient dans ce voyage, moins d'un siècle plus tard; je serais la seule survivante.

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