01-L'éveil du sang by alia__ | World Anvil Manuscripts | World Anvil
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Anasteria La soirée Ivona Le cauchemar

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Le cauchemar

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La nuit s’était doucement abattue sur l’académie, amenant avec elle le silence habituel. La lumière des chandeliers éclairait encore la chambre d’Anasteria. Cette dernière regardait les ombres danser sur le visage de sa colocataire et cela la captiver tellement qu’elle n’entendait plus les explications d’Yvona. Dans l’intimité de leur chambre, avec cette lumière, elle lui paraissait plus chaleureuse qu’elle ne l’avait jamais été. Elle la trouvait si fascinante désormais.
 
— Est-ce que tu m’écoutes ?
 
Anasteria se raidit, et sa poigne se resserra sur sa plume. Elle jeta un bref coup d’œil aux notes qu’elle avait commencé à rédiger pour son devoir imposé par Vari. Et elle grimaça lorsqu’elle se rendit compte qu’elle n’avait pas vraiment écrit ce qu’Yvona lui racontait. Cette dernière croisa les bras et son regard pétillait d’un amusement qui contrastait avec sa posture sévère.
 
— J’écoutais, répondit Anasteria. Peut-être un peu trop. Mais tu expliques si bien.
— Bien sûr. 
 
Anasteria se redressa et gonfla sa poitrine avant de continuer avec un grand sourire :
 
— L’alignement des failles est un phénomène courant, mais qu’on ne parvient pas à anticiper. Durant cet évènement, de nombreuses failles apparaissent et laissent passer un flux magique important. C’est comme une sorte de régulation des énergies.
 
Un sourire se dessina sur les lèvres d’Yvona.
 
— Et qu’est-ce qui la cause ?
— Nous n’avons établi que des théories, et la plus commune, c’est l’utilisation intensive de magie, comme lors des batailles.
— Bien. Maintenant, note tout ça.
 
Anasteria grommela, mais s’exécuta. Elle écrit avec soin ce qu’elle avait dit sous le regard attentif d’Yvona.
 
— Hé, reprit Anasteria. De quand date la dernière ?
— Les guerres libératrices, répondit Yvona. Cela a causé pas mal de problèmes, puisqu’avec l’afflux magique, les ombres, et les monstres arrivent aussi. 
 
Anasteria s’arrêta dans son écriture et observa sa colocataire. Sa plume venait gratter son menton d’un air pensif.
 
— Tu sais tellement de choses, constata Anasteria.
— Je te l’ai dit, je l’ai appris. Ma grand-mère m’a tout enseigné.
— Quand même. Tu sembles passionnée quand tu en parles.
— J’aime la magie, confessa Yvona avec un haussement d’épaules. Mais j’aurais juste aimé pouvoir l’étudier tranquillement, comme je le voulais, sans l’éducation stricte de ma famille.
— Je suis désolée de l’entendre.
 
Yvona répondit par un sourire timide. En deux jours seulement, Anasteria avait appris plus sur elle qu’en pratiquement un an. Et elle découvrait sous l’apparence froide et hautaine qu’elle pouvait montrer, se trouvait quelqu’un qui avait sans doute passé une enfance des plus difficiles dans l’une des plus grandes familles de mages. Et tout ce que désirait désormais Anasteria, c’était comprendre quel genre de personne elle était sous toutes ses couches de protections qu’elle avait érigées. Mais ses pensées se stoppèrent soudainement. Tous ses sens se trouvaient en alerte. Elle se leva de sa chaise, et sentit son regard attiré au travers d’un des murs de la chambre. Elle entendait quelque chose. Un bruit étouffé quasi imperceptible au loin, et en son fond intérieur, elle savait que ce bruit ne devait pas être ignoré.
 
— Ana ?
 
Anasteria se retourna vers Yvona qui sursauta aussitôt.
 
— Tes yeux… ils deviennent rouges.
 
Anasteria se rendit alors compte que les couleurs avaient changé. Le monde arborait une teinte grisâtre, mais elle voyait des nuances cramoisies et éthérées par moment. Et puis tout redevint normal. Et avant qu’Yvona ne puisse dire quelque chose, un cri retentit dans la nuit et les glaça toutes les deux. Anasteria n’hésita pas un seul instant. Elle empoigna sa besace et glissa les préparations dedans.
 
— Ana, intervint Yvona. Attends.
— Quelque chose se passe. Maintenant.
 
Son sentiment d’urgence s’amplifia. Elle n’avait pas le temps. Elle se précipita hors de la chambre, et son corps se dirigea vers la source de ses angoisses. Elle sentait une puissance tapie dans les couloirs, et elle était persuadée de trouver l’origine du cri par là. Elle entendait les bottes d’Yvona claquer derrière elle.
 
— Anasteria, attends !
— Non, on doit se dépêcher.
— On devrait voir un professeur !
— Pas le temps. Quelqu’un est en danger !
 
Anasteria pressa le pas dans les couloirs avec Yvona sur ses talons. Très vite, elle reconnut les lieux, et se rendit compte qu’elle arrivait vers une chambre qu’elle connaissait bien. Et elle se stoppa. Au bout du corridor, les chandeliers avaient été balayés, et les ténèbres régnaient. Yvona fouilla sans ménagement dans le sac d’Anasteria et sortit une des douzaines de fioles qu’elles avaient préparées cet après-midi. Une douce lumière bleue baignait autour d’elles et c’est là, qu’elles le virent. Une immense créature sombre se dressait devant elles. Sa carrure filandreuse et voutée toisait deux personnes au sol, et le cœur d’Anasteria s’accéléra.
 
— Johan !
 
La créature se tourna vers elles, délaissant Johan et l’autre étudiant. L’ombre ne possédait aucun trait du visage hormis un sourire carnassier qui s’élargit lorsqu’il leur fit face.
 
— C’est vraiment un cauchemar, souffla Yvona.
— Johan, pars ! ordonna Anasteria.
 
Le cauchemar s’approcha doucement d’elle. Sa carrure glissait contre les dalles de pierres et ne laissait qu’une énergie éthérée sombre. Anasteria plongea sa main dans sa besace et attrapa une fiole. Elle la sortit et la brisa aussitôt au sol. La poudre resta en suspension. Avec ses bras, elle dirigea les particules qui s’embrassèrent de magie et une violente boule de feu toucha le cauchemar. Le cri de l’ombre perfora les tympans des jeunes filles, mais Anasteria trouva la force de hurler :
 
— Courez !
 
Profitant de la diversion, Johan se hâta de relever l’autre personne, et Anasteria reconnut Davos. Ce dernier tenait son bras droit sanguinolent, mais parvint à suivre Johan et très vite, le groupe d’étudiants filait à travers les couloirs de l’académie. Dans la panique, ils descendirent les quelques escaliers pour arriver au hall. Mais lorsqu’Yvona tenta de pousser les grandes portes du bâtiment, elles restèrent fermées.
 
— Évidemment, pesta Yvona. 
— On va être bloqué, il vient.
 
Anasteria le sentait. Il approchait lentement, mais il se dirigeait vers eux. Elle jeta un coup d’œil à Johan qui tenait presque Davos qui grimaçait. Il l’aida à s’asseoir au pied d’une des colonnes en marbre qui cerclaient le hall et se pencha sur sa blessure.
 
— Laisse-moi regarder Davos.
 
Il grogna en guise de réponse, mais autorisa Johan à l’examiner. Son bras saignait abondamment, mais Johan parvint à déchirer un bout de son haut pour réaliser un garrot.
 
— Qu’est-ce qui s’est passé ? demanda Yvona. 
— Je ne dormais pas, avoua Johan. Je ne pouvais pas. Et puis… J’ai vu cette chose au-dessus de lui alors qu’il dormait. J’ai essayé de le tirer de son sommeil, mais ce truc lui a griffé le bras quand on est sorti… C’est vraiment ça un cauchemar ?
— On dirait, répondit Yvona.
— Bordel, grommela Davos. Comment est ce que c’est possible qu’on se fasse attaquer par ça ? On se trouve dans l’académie !
— On doit agir, intervint Anasteria. Yvona, comment bat-on ce truc ?
 
Yvona prit appui sur le mur et croisa les bras. Son regard s’attarda un peu plus longtemps sur les deux garçons, puis elle haussa les épaules.
 
— Lorsqu’un cauchemar passe dans notre monde, on n’a pas d’autre choix que de le détruire.
— On n’est pas assez expérimentés, soupira Anasteria, défaitiste.
— Correct, admit Yvona. Je ne pense pas qu’on peut le battre, même avec tes fioles. On doit trouver les professeurs.
— Pourquoi sommes-nous les seuls réveillés ? pesta Davos. 
— Les cauchemars utilisent la torpeur, expliqua Yvona. Si les gens dorment, ils vont avoir du mal à se réveiller. Tout comme toi. 
 
Anasteria jeta un coup d’œil dans sa besace et sur les dix fioles restantes dedans. Ce n’était pas grand-chose, mais cela pouvait leur permettre de tenir. Elle regarda ensuite Yvona et une idée germa dans son esprit.
 
— Davos, peux-tu te lever ? demanda Anasteria.
— J’ai connu mieux, gémit-il, mais ça devrait aller. Pourquoi ?
— Johan et toi, vous allez trouver un professeur. Iselia peut-être. On va l’occuper ici avec Yvona.
— C’est de la folie, intervint Johan, vous n’arriverez jamais à le battre !
— Il ne s’agit pas de le battre, expliqua Anasteria, mais de vous donner le temps de trouver du renfort. Et puis Yvona est la plus douée d’entre nous. Je pense qu’à deux on peut réussir. 
 
Yvona la jaugea un instant avant de demander.
 
— Combien t’en reste-t-il ?
— Dix, répondit Anasteria. Cinq, chacune.
— C’est peu, constata Yvona. Cela va être tendu… Mais c’est probablement la meilleure solution. 
— Vous ne pouvez pas être sérieuses, souffla Johan. Je ne peux pas vous laisser toutes les deux !
— Et pour faire quoi ? demanda Yvona avec un haussement d’épaules. Tu ne possèdes aucune préparation, et on ne peut pas plus diviser ce que nous avons.
— Tu es dingue, Eis, siffla Davos.
— De Vila, je suis tout ouïe si tu as une meilleure idée. Ou peut-être préfères-tu te vider de ton sang dans le hall ?
 
Davos grogna, mais parvint à se lever. Le garrot de fortune mis en place par Johan semblait tenir. Anasteria tendit les cinq fioles vers Yvona. Elle les prit et les glissa dans une des poches de son pantalon. Mais Anasteria pouvait toujours sentir le regard réprobateur de Johan. 
 
— Ana, commença-t-il.
— Johan, tu n’es pas très doué pour le combat, coupa Anasteria. Je suis désolée, mais c’est la meilleure solution et tu sais.
— On pourrait tous les quatre fuir et tenter de trouver les professeurs ensemble.
— De Vila va nous ralentir, répondit Yvona. Sans compter que le cauchemar pourrait s’en prendre à n’importe quel élève en train de dormir si nous partons.
 
Un murmure se fit entendre dans le crâne d’Anasteria et gagnait doucement en puissance au fur et à mesure que les minutes défilèrent. Et elle savait ce que cela voulait dire.
 
— Il arrive, avertit-elle. On doit se préparer. 
— Restez ici, ordonna Yvona. Lorsque vous voyez une ouverture, prenez les escaliers.
— Ne tentez rien de stupide, supplia Johan. Et on reviendra vite.
 
Anasteria adressa un large sourire réconfortant à son ami, puis elle se dirigea au centre du hall, au milieu des colonnes et bien en vue des escaliers. Yvona la suivit doucement et Anasteria remercia intérieurement les fondateurs qu’elle ne se trouve pas seule. Même si elle ne le montrait pas, elle pouvait sentir tous ses membres trembler de peur. Et étrangement, elle ressentait aussi une pointe d’adrénaline à l’idée de se battre pour la première fois.
 
— Tu es sûre qu’il vient dans cette direction ? demanda Yvona.
— Oui.
 
Elle se tourna vers Yvona qui la toisait d’un regard perçant. Elle pouvait voir à son froncement de sourcil qu’une myriade d’interrogations parasitées son esprit.
 
— Tu es si étrange, murmura-t-elle.
— Tu as raison, avoua Anasteria. Je ne sais pas ce qui se passe, mais on se posera des questions plus tard.
— Si on survit. 
— S’il te plait, dis-moi que tu as pensé à un plan, c’est toi le prodige. 
 
Yvona haussa les épaules avec un petit sourire en coin qui étrangement calma les angoisses d’Anasteria.
 
— Je n’ai jamais combattu de cauchemars. On va devoir l’occuper, garder nos distances, et prier Aulus et Lori qu’Iselia ou qui que ce soit arrive vite.
— Ça me va.
 
Les deux étudiantes n’eurent pas à attendre longtemps. Au bout de quelques minutes, le cauchemar se montra en haut des escaliers, et sa forme éthérée descendit lentement vers elles.
 
— Dis-moi que tu as peur aussi, murmura Anasteria.
— Bien sûr que j’ai peur...
 
Lorsque le cauchemar atteignit enfin le sol du hall, tous les chandeliers furent soufflés, et l’obscurité s’abattit sur elles. Dans un réflexe, Anasteria éclata une fiole à ses pieds, et parvint à matérialiser un orbe de lumière flottant, leur offrant un peu de répit, et une visibilité restreinte. La forme se rua alors sur elles, et elles se séparèrent. Yvona ne perdit pas un instant, et créa un pic de glace qui vint perforer l’ombre. Anasteria entendit des pas qui signifiaient que Johan se mettait en route. À son tour, elle frappa avec une boule de feu le cauchemar qui grogna de douleur, mais se rua sur Anasteria. Elle remercia l’entraînement de soldat que lui avait fourni son père, car elle évita facilement son attaque d’un pas en arrière. Elle continua ses esquives comme elle le pouvait, mais la visibilité restreinte ne l’aidait pas. Un coup de griffe arracha un bout de son pantalon. Elle se retrouva alors près d’Yvona qui pestait.
 
— On a besoin de plus de lumière. 
 
Sur ces mots, un pic de glace vint transpercer les pierres comme des feuilles et permit à la clarté de la lune de les éclairer.
 
— Bien joué, lâcha Anasteria.
 
Ce n’était bien sûr pas l’idéal, mais c’était déjà un peu mieux pour se battre. Le cauchemar se rua de nouveau vers elle, et Anasteria eut tout juste le temps d’éclater une fiole et de créer un bouclier devant elles. Les griffes tapèrent l’énergie magique et rebondirent. Il vacilla un instant en arrière, et ce fut suffisant pour qu’Yvona l’attaque avec un sort. Un torrent d’eau le repoussa un peu plus, puis se solidifia en pics qui frappèrent en plein dans la poitrine. Anasteria était plus qu’impressionné par la maîtrise d’Yvona, mais elle remarqua qu’elle commençait à respirer difficilement avec l’effort. Elle profita de l’accalmie pour reprendre son souffle.
 
— Est-ce que ça va ? demanda Anasteria.
— Je fatigue.
— Tiens encore un peu le coup. 
— On doit le frapper, maintenant.
 
Anasteria acquiesça et brisa une fiole en même temps qu’Yvona. Les deux étudiantes effectuèrent leur mouvement de concert. Une ligne de feu partit d’Anasteria et se dirigea vers leur ennemi. Et derrière un pic de roche surgit des dalles pour le transpercer. Le cauchemar cessa de bouger après avoir encaissé les deux coups. Il se tenait toujours debout, mais un lourd silence s’abattit dans le hall. Et soudain, il hurla un cri si strident que les deux étudiantes durent se boucher les oreilles avec leurs mains. Lorsqu’il se stoppa, Anasteria eut tout juste le temps de le voir foncer sur elle. Anasteria parvint à pousser Yvona loin d’elle, et elle encaissa seule la charge du cauchemar. Elle laissa échapper un cri de douleur tandis que son dos heurta violemment une des colonnes.
 
— Ana !
 
La main sinistre de l’ombre l’attrapa par le cou et l’empêcha de tomber au sol. Elle pouvait sentir son souffle glacial sortir de son sourire carnassier. Anasteria fouilla désespérément dans son sac, mais elle se rendit compte avec effroi qu’elle ne possédait plus une seule préparation. Au milieu de la salle, les rayons de la lune réfléchissaient sur une fiole abandonnée au sol, sa dernière qu’elle avait perdue durant la charge. Elle se tenait à sa merci, sans aucun moyen de réaliser un sort. Si seulement elle connaissait un esprit pour l’aider, mais elle n’avait pas assez d’expérience pour en invoquer un.
 
— Je vais me repaître de ton sang, et le Patriarche en sera heureux…
 
La voix sifflante hérissa les poils d’Anasteria. Elle bougea comme elle le pouvait pour se défaire de l’emprise, mais elle ne parvenait qu’à se faire mal au dos. Tandis qu’elle pensait la fin de sa courte vie arrivée, un flash blanc l’obligea à fermer les yeux. Lorsqu’elle les rouvrit un instant plus tard, une immense colonne de glace s’était abattue sur l’ombre. Et l’ensemble de la zone était recouverte d’une épaisse couche de givre. Le cauchemar se transforma en un petit tas d’énergie sombre et Anasteria chuta lourdement à terre. Ce n’est que lorsqu’elle entendit le cri de douleur d’Yvona, qu’elle parvint à se relever. Elle gisait au sol. Son visage caché dans ses mains, Yvona hurlait de douleur et se tordait dans tous les sens. Le sang d’Anasteria ne fit qu’un tour, et elle oublia l’élancement dans tous ses membres pour se précipiter vers elle. 
 
— Yvona ! Qu’est-ce qui se passe ?
— Mon œil ! Ça fait si mal !
 
Elle criait tellement qu’Anasteria se sentait désarmée. Elle posa sa main sur elle, et cette dernière fut aussitôt attrapé par l’une d’Yvona, l’autre resta sur un de ses yeux et un fin filet de sang s’échappa de ses doigts. Yvona commençait à serrer de toutes ses forces la main d’Anasteria pour supporter la douleur. 
 
— Yvi, murmura Anasteria, impuissante.
 
Les chandeliers disposés autour du hall se rallumèrent tous d’un coup, donnant enfin de la visibilité. Des bruits de courses se firent entendre, et très vite Anasteria fut rejointe par Johan accompagné d’Iselia, et de quelques autres professeurs, dont le premier enchanteur, Eyron Nagus. Mais Anasteria se moquait allégrement de leur présence, seule Yvona lui importait à ce moment-là. Iselia se précipita aussitôt vers elles.
 
— Par Aulus, lâcha-t-elle. Que s’est-il passé ?
— C’est le cauchemar ! Il a blessé Yvona !
— Vous... Vous l’avez tué ?
— Yvona l’a tué, expliqua Anasteria d’une petite voix.
 
Elle regarda le minuscule tas d’énergie magique qui restait au sol, seule preuve de la présence du cauchemar. 
 
— Je vais conduire Yvona à l’infirmerie, proposa Iselia. Allez, Yvona essaye de te lever.
— Ça fait tellement mal, sanglota-t-elle. 
 
Avec beaucoup d’effort, elle parvint à se lever, mais garda précieusement sa main sur son œil meurtri. Anasteria la regarda s’éloigner sans pouvoir dire quelque chose. Elle se sentait si impuissante que même la douleur dans sa colonne, et la lacération dans sa jambe semblait insignifiante. Eyron s’approcha alors d’elle, son attention fixée sur les restes du cauchemar. Anasteria n’avait jamais eu l’occasion de voir le dirigeant de l’académie de si près. Malgré son âge avancé, il irradiait de sagesse et de calme. Une longue barbe aussi blanche que ses cheveux encadrait un visage fin parsemé de rides. Il se tenait droit, ses mains cachées dans son dos, et lorsque son regard azuré se posa sur Anasteria, elle sentit une douce compassion émanait de lui.
 
— Vous deux, dit-il à l’attention d’Anasteria et Johan, dans mon bureau. Maintenant. 
 
***

 

Le bureau de l’enchanteur se situait au dernier étage, de la plus haute des trois tours qui constituaient l’académie. L’endroit se composait d’un mélange de bibliothèque fournie, d’artefact étrange, et de parchemins qui jonchaient chaque parcelle libre pour s’entasser ensemble. Ce n’était pas vraiment l’idée qu’elle s’imaginait du bureau d’Eyron, mais son attention se reporta bien vite sur lui, lorsqu’il poussa un long soupir.
 
— Davos et Ivona sont entre de bonnes mains à l’infirmerie. Mais j’aimerais bien savoir ce que toute cette histoire signifie.
 
Johan jeta un coup d’œil paniqué à Anasteria. Il n’avait jamais eu beaucoup de courage pour affronter les professeurs, alors braver le premier enchanteur semblait hors de sa portée. Anasteria soupira et haussa les épaules. Rien que ce bref mouvement réveilla ses douleurs dorsales, mais elle les oublia pour se concentrer sur son récit. Elle n’omit rien, de ses intuitions, aux cris, en passant par tous les évènements de cette nuit. Lorsqu’elle eut terminé. Eyron la regardait avec un froncement de sourcil sévère.
 
— Vous avez fait preuve d’imprudence tous les deux. Vous n’auriez jamais dû l’affronter.
— On avait peur qu’il s’en prenne à d’autres si on fuyait, expliqua Anasteria. Et sur le moment, je n’ai pas vu d’autre solution.
 
Maintenant qu’Ivona était blessée, elle le regrettait amèrement. Elle baissa la tête et se renfrogna, attendant que les remontrances se terminent pour aller directement à l’infirmerie. 
 
— Je ne sais même pas par où commencer, soupira Eyron. Ce n’est pas la première fois que je vois votre nom, à tous les deux. Mais généralement, vous êtes simplement dissipé en classe.
— On ne voulait pas causer de problèmes, jura Johan. La situation nous a échappé.
— Ivona avait prévenu Iselia, expliqua Anasteria. 
— Mais vous avez quand même réalisé des préparations, ce qui est rigoureusement interdit en dehors des heures de cours. La magie est une arme, pas un jouet.
— Je sais ! protesta Anasteria. Ivona a essayé de m’en dissuader. Mais c’était juste une précaution.
— Comment avez-vous obtenu les ingrédients ?
— Je les ai empruntés à la réserve.
— Volé, corrigea Eyron. 
 
Le premier enchanteur soupira et frotta ses yeux fatigués par l’heure tardive. Il regarda tour à tour les deux étudiants avec un air sévère. 
 
— Bien que vous ayez accompli un exploit en tuant un cauchemar, vous avez désobéi à plusieurs de nos règles. Vous devez comprendre que ces règles ne sont pas établies pour vous brider. Elles existent pour vous apprendre à vivre en société avec les amagus. Les lois concernant la magie ne sont pas à prendre à la légère. Vous devez les suivre, pour protéger les autres, et surtout, vous-même. Mais je ne doute pas que vous l’avez assimilé ce soir. Mais de la plus dure des manières. 
— C’est ma faute, expliqua Anasteria, les poings serrés. Je suis la seule responsable. Johan et Ivona ont tous les deux essayé de m’en dissuader. 
— C’est faux ! protesta Johan avec véhémence. Ivona n’a rien à voir avec ça. On l’a embarqué dedans, et elle a juste voulu nous protéger. Mais j’ai aussi ma part de responsabilité. 
 
Anasteria s’apprêta à objecter contre son ami, mais Eyron leva une main pour faire taire les débats.
 
— Vous recevrez tous les deux une punition à la hauteur de vos accomplissements ce soir. Et j’espère que c’est la dernière fois que je vous ai dans mon bureau. Maintenant, retournez dormir. Johan, allez voir l’intendance pour obtenir une autre chambre. Vous pouvez partir.
 
Les deux étudiants poussèrent un soupir de soulagement quand ils quittèrent le bureau de l’enchanteur. Anasteria ne parvenait même pas à s’inquiéter de leur future punition. Ses douleurs se réveillaient, l’épuisement tombait sur elle, et elle se souciait de l’état d’Ivona. Elle jeta un regard à Johan et lui demanda :
 
— On va voir Ivona et Davos ?
— Bien sûr qu’on y va ! répondit Johan. Je suis inquiet pour elle.
 
Anasteria adressa un sourire fatigué à son ami, mais fut soulagée de constater qu’ils partageaient la même idée. Ils rejoignirent l’infirmerie en seulement quelques minutes. Une odeur florale régnait dans la place, signe que l’infirmière Apell avait réalisé de nombreuses préparations curatives. Elle se tenait assise près du lit dans lequel était allongée Ivona. Lorsqu’elle entendit du bruit, elle se leva, et toisa les deux étudiants avec un regard sévère.
 
— Je mettrais ma main à couper que le premier enchanteur ne vous a pas autorisée à venir ici. Je sais que vous êtes des pensionnaires récurrents de mon infirmerie tous les deux, mais j’aimerais que vous évitiez d’autres problèmes pour le reste de la nuit.
 
Anasteria avait toujours trouvé Axelle Apell incroyablement douce et compréhensive, une qualité des plus appréciables quand on occupe son poste. À son grand dam, Anasteria s’était brûlée, et coupée plus de fois qu’elle ne voulait l’admettre durant les cours, et avait fini par venir de temps en temps ici. Mais jamais aussi souvent qu’Apell le raconter ! Cependant, elle n’avait pas envie de la contredire ce soir. La fatigue se ressentait dans chacun de ses membres, et elle souhaitait simplement s’excuser auprès d’Ivona. Elle haussa les épaules.
 
— On voulait prendre de leurs nouvelles, avoua Anasteria. On ne restera pas longtemps.
 
Le visage d’Apell s’adoucit. 
 
— De Vila est en train de dormir, expliqua-t-elle. Mais sa blessure ne semble pas si grave. D’ici quelques jours, il ira mieux. 
 
Elle marqua une pause, puis se tourna vers Ivona qui les regardait silencieusement. Un bandage recouvrait son œil droit, et à en juger par la difficulté qu’elle avait à garder l’autre ouvert, Apell avait dû lui prodiguer quelque chose de puissant pour la soulager.
 
— Eis s’en sortira aussi, reprit-elle. Mais elle a quasiment perdu l’usage de son œil. Je lui ai donné quelque chose pour la douleur, mais elle doit se reposer.
— Je vais bien, grogna Ivona.
 
Ivona tenta de se redresser un peu plus, mais ses mouvements lents lui tirèrent une grimace. Anasteria et Johan s’approchèrent tandis qu’Axelle s’éloigna.
 
— Ne restez pas longtemps.
 
Les yeux d’Ivona peinaient à rester ouvert, mais elle parvint à esquisser un sourire fatigué.
 
— Comment te sens-tu ? demanda-t-elle en fixant Anasteria.
— Je devrais être celle qui pose la question. J’ai un peu mal partout, mais ça ira mieux demain. Et toi ?
— Je ne ressens plus grand-chose, confessa Ivona. Ce que m’a donné Apell est vraiment puissant.
 
Même si le visage d’Ivona semblait apaisé et calme, Anasteria avait du mal à oublier le cri de douleur qu’elle avait entendu. Elle se sentait responsable. Certes, l’apparition du cauchemar demeurait un mystère qu’elle ne comprenait pas, mais elle avait embrigadé Ivona dans cette histoire. Elle posa sa main sur celle d’Ivona et soupira.
 
— Je suis désolée. Pour tout. Je ne voulais pas que tu sois blessée, je n’ai jamais pensé que ça serait si affreux…
 
Ivona prit un instant pour répondre. Son regard passa lentement entre Johan et Anasteria.
 
— Tu ne m’as pas forcée, lâcha-t-elle. Et puis, j’aurais dû faire attention. Mais quand j’ai vu qu’il allait te blesser, je ne pouvais pas faire autrement.
— Je n’arrive pas à croire que tu as tué un cauchemar ! s’exclama Johan. Je comprends pourquoi tout le monde dit que tu es une génie.  
 
 
Ivona lâcha un rire amusé et fatigué. Sa main frotta son œil valide et elle poussa un bâillement qu’Anasteria trouva extrêmement mignon. 
 
— Anasteria l’avait affaibli, ajouta-t-elle. Je ne pensais pas que tu étais si douée avec la magie.
— Je vais le prendre pour un compliment, ria Anasteria. On fait une bonne équipe.
 
Ivona regarda un instant Johan.
 
— La prochaine fois, c’est Johan qui concocte les préparations, il est plus qualifié que toi. Mais oui, on fait une bonne équipe.
 
Johan donna un coup de coude amical à Anasteria qui roulait des yeux. Johan semblait réaliser de grands efforts pour ne pas montrer son inquiétude et fanfaronna.
 
— Merci Ivona ! Tu vois Ana ? Quelqu’un qui reconnait enfin mon talent ! Et vivement que tu te remettes Ivona, on pourra compter sur toi pour les cours quand on deviendra apprentis chevalier-mages !
 
Ivona lâcha un rire, mais sa paupière se fermait doucement à intervalle régulier. Anasteria savait que les médicaments affectaient l’énergie et l’esprit d’Ivona. Anasteria pour sa part, sentait la fatigue la tirailler. Ses muscles hurlaient de douleur, et ses pensées tournaient en rond et répétaient les mêmes questions : pourquoi avait-elle entendu le cauchemar ? De quoi ce dernier parlait-il ? Pourquoi ses yeux avaient-ils changé de couleur ? Elle se doutait qu’elle n’obtiendrait pas de réponses ce soir ni dans les prochains jours. Mais elle commençait à penser qu’elle n’était peut-être pas si normale qu’elle le désirait. Johan tira sur sa manche, et elle se rendit compte qu’Ivona s’était endormie paisiblement. Les traits de son visage ne laissaient pas deviner qu’elle souffrait vingt minutes plus tôt. Elle s’en voulait tellement que son estomac se contorsionnait dans tous les sens. Mais elle réparerait son erreur. Elle allait être là pour sa colocataire, et lui rendre la pareille, un jour ou l’autre. Elle le savait.

 

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