Chapitre 7

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L'arène de Bulle d'O du Palais d'Argent était immense. Creusée dans un bloc d'or monumental, elle s'étendait sur des dizaines de kilomètres carrés, accueillant près d'un million d'élohim. Dès l'ouverture, les anges débarquèrent des vomitoires comme des fous et prirent place autour de la Bulle. Des nuées d'ophanim et de puissances les accompagnèrent pour maintenir l'ordre. Les technologies perdues des trônes, datant de l'Âge d'Or du Bas Tikkun, tordirent l'espace-temps. Elles permirent ainsi à tous les élohim présents de voir le terrain comme si els étaient au premier rang. Un brouhaha assourdissant résonna, faisant vibrer le tissu de la Création. Le million de halos élohiens s'unit en une seule lumière surpuissante. Le public forma rapidement un nœud dans le réseau EL, partageant ce qu'els voyaient, ressentaient, pensaient. En attendant le début du match, des principautés débarquèrent dans l'arène et se mirent à chanter et danser, commençant un concert endiablé. Les artistes balancèrent des friandises d'ambroisie sur le public, qui s'en régala. 

Dans sa loge vitrée, Michaël observa le public. Les élohim présents étaient principalement des anges de basse génération, résidents privilégiés du Palais d'Argent. Beaucoup étaient des Fitzarch, venus ici en chorales entières d'anges gardiens. 

Comme mes frères sont nombreux, réalisa Michaël. 

Bientôt, les trompettes résonnèrent. Le tournoi allait commencer. Les équipes entrèrent sur le terrain et tournoyèrent autour de la bulle pour saluer le public. C'est alors qu'aux deux extrémités de l'arène, deux Fitzarch aînés apparurent. À l'une, près de la loge de Michaël et de son équipe, se présenta l'archange Midara, fils d'Aradim, là pour représenter son père. C'était un ange ancien, né après la Seconde Brisure cependant. Michaël ne le connaissait même pas de nom avant son enrôlement dans l'équipe. El ressemblait à son père, grand et pâle, silencieux, placide. Une grande statue de calcaire désintéressée. Mais Renfra et l'équipe l'acclamèrent respectueusement. 

— Aradim est rarement au Palais, avait expliqué le capitaine. Midara est un peu notre gardien à nous en l'absence de l'aîné. 

Le public salua Midara aussi. Mais soudain, leur clameur redoubla. De l'autre côté de l'arène apparut…

— Padmilia Fitzarch…

Michaël sentit ses jambes se dérober sous el. Ses deux cœurs s'emballèrent. El se rattrapa et sourit, amusé par sa propre réaction. El laissa son esprit entrer dans le réseau EL. Au travers des yeux des ophanim présents, el vit de près Padmilia. L'archange-roi Padmilia Fitzarch. Né il y a plus de douze mille cycles, à l'aube du Tikkun. Issu de la première portée d'anges générée par le Grand Architecte et sa première azoha, Levannah. Grand Corsaire du cosmos de Malkouth. Conquérant des mondes-fertiles. Vétéran de la Seconde Brisure avec son jumeau Aradim. Souverain de Shemesh. L'un des éloha les plus beaux de la Création. Et surtout, le favori de son père, le Grand Architecte. 

Le regard perçant de Michaël s'attarda sur son aîné. Padmilia avait un visage opalescent, parfait. Ses paupières étaient pailletées de lavande, rehaussant la couleur similaire de ses longs cheveux. El était habillé d'une longue robe mauve éthérée, d'inspiration florale. Son halo irradia dans toute l'arène, provoquant l'adoration des anges. Michaël fit briller son propre halo de métal à l'unisson. 

— Que fais-tu ?! s'énerva soudain Renfra juste derrière. Tu célèbres notre adversaire ?!

— Navré, sourit Michaël, les paupières lourdes. J'ai toujours admiré Padmilia. El est…

— Le chouchou de papa, le plus populaire, oui je sais, souffla Renfra. Mais si l'équipe te voit l'acclamer ça va ruiner leur moral. 

— Toutes mes excuses. 

— Ça va aller ? Tu as des petits yeux. 

Michaël bâtit des paupières, embarrassé. 

— Negara m'a dit que… que tes cauchemars continuaient, dit Renfra. 

— Oui, avoua Michaël, cela dure depuis des semaines malgré ses tentatives pour les chasser. Mais ça va aller. Je me sens d'attaque.

— C'est les demi-finales, sourit Renfra. Grâce à ton aide, nous sommes parvenus à défier les pronostics. Par la grâce d'EL, il nous reste deux matchs à gagner. 

— Nous les gagnerons, affirma Michaël. 

Le capitaine et le stratège quittèrent alors la loge pour descendre dans les vestiaires de leur équipe. Les anges de Renfra piaffaient d'impatience à quelques minutes du début du match. Els finissaient d'enfiler leurs uniformes violets, renforcés pour que leurs corps fluets ne s'abiment pas lors de l'affrontement. Les vertus-coach appliquaient sur els les thaumaturgies de boost concoctées par Michaël, qui afficha une dernière fois le plan stratégique du match dans leur réseau EL d'équipe. 

— Entrez dans la bulle et suivez le plan que nous avons élaboré tous ensemble, les encouragea Michaël. 

L'équipe se rassembla en cercle et s'exclama :

Gloire à Aradim !

Gloire à Aradim !

Gloire à Aradim !

Les anges continuèrent à clamer le nom de leur aîné en entrant dans la bulle d'O. L'équipe de Padmilia chanta un slogan similaire. Les deux équipes d'anges s'alignèrent dans la bulle. L'une mauve, l'autre rose. Aux extrémités, derrière les buts, leurs vertus-coach prirent place pour tisser sur eux des thaumaturgies réglementaires. De nombreux regards se posèrent sur Michaël. Sous la masse du million d'élohim présents, el sentit ses cœurs se serrer, son ventre se crisper. Ses ailes faillirent un peu. Michaël observa un instant Padmilia au loin. Le stress pulsa dans ses mains. Mais la jeune vertu se reprit et se força à se concentrer son équipe alors que chacun prenait place sur le terrain. Michaël observa la formation de l'équipe adverse. 

— Nos adversaires prennent la configuration B, donc Bettina et Julia, préparez vos défenses. 

Un décompte commença. Trois, deux, un, paf ! Une masse de cinq cents bulles-ballons explosa sur le terrain. Les anges se ruèrent dessus dans un pur chaos. Michaël boosta un maximum ses frères pour décupler leurs sens, leur rapidité et agilité. Bientôt, l'équipe d'Aradim dépassa les capacités réactives de son adversaire. Le nombre de bulles dans leur panier s'accumula très vite.

Mais soudain, Michaël vit un filet étrange se poser sur les halos des padmiliens. Étrange, car Michaël connaissait ces motifs, ces schémas de tissage. Mais ils n'avaient rien à faire ici, à Tiphéreth. La vertu s'en trouva déstabilisé. El sentit sa conscience vaciller sous un assaut d'anxiété. Ses mains tremblèrent, son filet claqua. El scruta l'autre bout de la Bulle d'O pour tenter d'apercevoir le tisseur. En vain. Renfra cria, furieux. Michaël se reprit. Mais trop tard. La jeune vertu n'avait pas communiqué avec son équipe pour réajuster leur positionnement face à la contre-attaque des padmiliens. Ces derniers reprirent le dessus, leur assaut implacable et calculé. Une vague de colère traversa Michaël. El hurla des ordres et décupla l'épaisseur de son filet, poussant les anges aux bons emplacements. Dans son ventre, el enclencha son akshoka. Cette petite boule de cristal, couverte de mercure et imbibée de jus de grenade, décupla l'ampleur de l'esprit de Michaël. Son halo faillit gonfler sous la puissance de la lumière qu'il générait. Mais la jeune vertu le retint, le comprimant dans son crâne. Il ne fallait pas montrer la puissance de l'akshoka. Une accusation de dopage serait portée, et tous ses efforts seraient gâchés. 

L'équipe d'Aradim remonta la pente, portée par de violents battements d'ailes qui poussèrent à leur limites les anges. Une même douleur foudroya les articulations de Michaël, surtout dans ses doigts tisseurs. Ses tendons s'étirèrent dans une souffrance à peine supportable. Des larmes coulèrent des yeux de la jeune vertu, mais ils restèrent perçants et concentrés, froidement furieux. Le chaos dans la bulle d'O ne fit que grandir pendant les trente minutes que l'affrontement dura. Michaël tissa, hurla, tissa, ordonna encore, surpassant l'autorité du capitaine. Les schémas adverses se déployèrent devant el, provocateurs. Des griffes noires apparurent dans sa vision périphérique, s'approchant dangereusement. Michaël se démena, encore et encore. 

Puis el ouvrit les yeux. 

— Michaël ? Michaël ! hurlait Renfra. Réveille-toi ! On a gagné !

— Éloignez-vous ! pesta une voix agacée. Laissez les médecins approcher !

L'esprit de Michaël réémergea dans un brouhaha infernal. Deux objets cotonneux furent placés sur ses oreilles. Un autre, sur son halo. Ses capacités sensorielles furent réduites et soudain, il fut bien plus facile de penser. Michaël se réveilla, battit les paupières en voyant l'explosion de joie qui l'entourait. Renfra le souleva et le percha sur ses larges épaules. Le reste des anges tournoyèrent autour d'el. Sans qu'el ne s'en rende vraiment compte, Michaël fut porté par-dessus la bulle d'O pour recevoir l'acclamation d'un million d'élohim, des anges, mais surtout des Fitzarch. Michaël chercha quelque chose dans les gradins, sans le trouver, mais surtout, sans se rappeler ce qu'el cherchait. Ahurit, el supporta les quelques minutes de chaos avant d'être enfin conduit dans une loge pour récupérer. 

— Tu es fou Michaël ! s'emporta une vertu-coach. Tu étais sur le point de te disloquer comme une poupée martyrisée !

— Où… où est Renfra ? Je dois rester près de lui.

— Pour quoi faire ? 

— La… cérémonie… souffla Michaël, à peine capable de parler. 

— C'est dans vingt minutes. Regarde-toi ! Tu ne seras pas sur pied ni ailes dans vingt minutes.

— Il me le faut ! clama soudain Renfra dans le réseau EL. Michaël doit apparaitre. 

— El doit récupérer ! s'énerva le coach. 

— Fourre-le de thaums boost. Les aînés veulent le voir et le célébrer ! On est en finale !

Michaël, allongé, éclata de rire, mais aussi en sanglots. 

"On est en finale ! On est en finale ! On est… On est… On est en finale !"

Dans l'arène, la bulle d'O fut aplatie et vidée, laissant un espace libre à la cérémonie de victoire. Padmilia et Midara prirent place au centre du lieu. Leurs équipes devant els. Les padmiliens s'agenouillèrent devant les frères d'Aradim, avant de se faire relever par ces derniers, dans un geste fraternel. Les aînés applaudirent chaleureusement, oubliant déjà le chaos de l'affrontement, leur victoire ou défaite. Autour, le public surexcité brava la sécurité pour déferler sur le terrain. Mais les halos des aînés s'étendirent. Els utilisèrent la Subjugation, le pouvoir des archanges, pour maintenir le million d'élohim dans une stupeur relativement calme. Sonné, Michaël resta près de Renfra, bouche bée. Malgré l'euphorie, la jeune vertu ne parvenait pas à chasser son anxiété et les tensions qui torturaient encore son corps. Son regard chercha encore quelque chose, non, quelqu'un. Ces schémas de Hod. Ces schémas de…

— Brenna ?!

Dans l'entourage de Padmilia, Michaël vit la vertu souveraine de HodArch. El reconnu ses grands cheveux frisés, son sourire et ses yeux tendres. Brenna ouvrit ses bras, Michaël couru et s'y jeta, plongeant enfin dans l'euphorie.



Michaël lévitait au-dessus de Sicad, ses yeux perçants étudiant sa surface, la mine figée. Il faut fuir, il faut fuir, lui intimait son instinct de survie. Mais la jeune vertu sanglotait, à la recherche de quelque chose sur cette petite planète, à peine assez grande pour être qualifiée en tant que tel. Trop tard. Michaël se retourna et s'accrocha à une échelle, dont el gravit difficilement les barreaux. Son corps était lourd, ses pieds surtout. Ses ailes ne fonctionnaient plus. Dans le cosmos, Michaël vit une silhouette élohienne passer, inerte, dans une armure dorée. Ses cœurs hurlèrent, mais el continua à grimper. Les ténèbres vinrent. Au sommet de l'échelle, un halo violet pulsait, ancien, antique, mythique même. Michaël trébucha. Quelque chose tira son pied. La vertu ouvrit la bouche et hurla. Terreur, terreur, terreur. 

Le corps entier de Michaël fut pris d'un sursaut. El ouvrit les yeux, respira. Un cauchemar, encore. Sicad, l'échelle, le Grand Architecte tout là-haut. Rien de très subtil. Mais Michaël frotta ses chevilles, très mal à l'aise. El soupira, entre fatigue et agacement. El sortit du lit-œuf. 

Le nid de Brenna était empreint d'argent. Le métal scintillant était partout sur les moulures des murs et du plafond, sur les plinthes aussi. Entre ces encadrements, les murs étaient peints de scènes anciennes, où des élohim étaient montrés en gloire sur le désert de Hod, aux alentours de Tophana. Els portaient des armures et des tuniques colorées, leurs grandes ailes déployées devant les lacs de mercure et les forteresses des archanges du désert. Michaël sentit dans les couloirs l'odeur du musc et du miel floral. El se revit enfant parcourir le nid des HodArch, celui d'Ennead. El avança avec appréhension. Brenna l'attendait dans sa salle à manger, autour d'une table blanche parfaitement circulaire. La grande vertu sourit en voyant son petit frère arriver. Mais Michaël sursauta. Une énergie étrange avait traversé sa vision. El battit des paupières et vit qu'autour de la table, une domination était présente. El avait la peau diaphane, de longs cheveux blonds et un regard vert intense. El était Siriniel, bras droit de Brenna. Frère de Constantiel. 

Constantiel avait été le bras droit de Raphaël au sein d'Ennead. Michaël s'était battu contre el juste avant son intervention durant la bataille de Sicad. Constantiel s'était dressé devant el pour l'empêcher de porter secours aux gardiens de la planète. Il était trop tard. Els n'en valaient pas la peine. Michaël revit sans le vouloir le visage endormit de Constantiel s'éloignant dans le cosmos.

Son corps n'avait jamais été retrouvé. 

Et son frère de portée était là, toujours au service de Brenna. Si le regard de Siriniel avait été une arme à feu, le corps de Michaël aurait déjà été pulvérisé sous une pluie de balles. Michaël interrogea Brenna du regard, aussi confus qu'excédé. Pourquoi diable lui faire rencontrer Siriniel ? Pourquoi dès maintenant ? Michaël allait-el être sacrifié sur l'autel d'une furie vengeresse ? Apparemment non. Brenna ne semblait pas troublé. El invita Michaël à s'assoir auprès d'el. Dès que la jeune vertu posa son derrière, Siriniel se leva et demanda à Brenna l'autorisation de partir au travail. Le Fitzarch approuva sans un mot, souriant. Michaël souffla, encore halluciné. 

— Petit frère, sourit Brenna, les larmes aux yeux. 

El enlaça longuement Michaël, tapotant son dos avec tendresse, comme pour cajoler un enfant. 

— Oh par EL, je savais qu'on finirait par te retrouver, je le savais… Raphaël a eut beau raconter ses histoires, je savais bien que tu n'étais plus dans son nid. Quelque chose s'est passé et soudain… tu as disparu, si soudainement oui. Des amis à moi m'ont raconté la rumeur, tu sais…

— Euh ha ? balbutia Michaël. 

— Votre combat dans le centre commercial ! Et soudain pouf ! Tu t'es évaporé ! Que s'est-il passé ?!

Michaël resta silencieux quelques minutes, incapable de générer une parole nouvelle. Je suis à la maison ? se demanda-t-el. Ce nid y ressemblait, pour sûr. Tout avait été un rêve, un cauchemar. El était à la maison. 

— J'ai pris un vaisseau pour aller à Guebourah, souffla finalement Michaël, la bouche sèche. 

Brenna ouvrit grand les yeux. 

— Guebourah ?!

Michaël acquiesça. 

— Mais le vaisseau a eu un accident et j'ai fini à Tiphéreth.

— Attend ! Attend ! Attend ! l'interrompit Brenna. Pourquoi Guebourah ? 

— Pour participer à l'effort de guerre dans un endroit où mes capacités seront utilisées, expliqua Michaël.

Brenna ferma les yeux, secoua la tête, accusant l'évidence, mais aussi la dangereuse audace de son petit frère. 

— Par EL… avec qui ? Qui t'a aidé ?

Michaël déglutit sans rien dire. 

— Dis-moi tout Michaël ! avertit Brenna. Tu dois tout me dire ! Tout ! Sinon je ne pourrai pas t'aider à faire quoi que ce soit ! Toi, seul, tu ne peux pas sortir du royaume de Hod sans te faire repérer ! Alors dis-moi qui t'as aidé ?!

— J'ai été déguisé avec de la magie du sang, expliqua Michaël. Je savais même pas que ça existait avant… Bref… C'est… c'est une agence guébouréenne qui m'a "aidé", Géhenna. 

La mine de Brenna se voila d'inquiétude. Ses traits se tendirent. Michaël continua, espérant noyer le poisson. 

— Donc, oui, il y a eu un accident sur le vaisseau-monde qui nous transportait moi et des vertus-militantes envoyées en renfort. Je sais plus ce qu'il s'est passé. Je me suis réveillé dans un monde-fleur de Tiphéreth avec d'autres rescapés. Els ont retrouvé leurs places dans la Chapelle. Moi… moi je me suis caché pour… pour me protéger. 

— Pourquoi ne t'es-tu pas présenté au Palais d'Argent ? demanda Brenna. En tant que Fitzarch, tu as le droit d'intégrer la chorale de n'importe lequel de tes frères, dont la mienne. Si tu étais venu, j'aurais su et… 

— Je ne savais pas que tu étais là, dit Michaël. Ici je connaissais personne. Je faisais confiance à personne… Brenna, je veux toujours aller à Guebourah. Maintenant qu'une nouvelle titanomachie commence, j'y serai plus qu'utile. 

— Michaël, Guebourah n'est pas un endroit pour toi, s'agaça Brenna. Tu es un Fitzarch, pas une puissance de la Milice. Ton rôle n'est pas d'aller te sacrifier sur le front.

— Je suis une vertu militante, dit Michaël, une vertu guerrière !

— Tu es un Fitzarch ! Un Fitzarch avant tout ! Ta graine est trop précieuse pour être sacrifiée au front !

— Évidemment… soupira Michaël. 

— Michaël, par EL ! s'énerva Brenna. Depuis ton adolescence, tu sembles incapable de comprendre cela, de l'accepter ! C'est pour ça que Raphaël a eu tant de difficultés avec toi !

— Il existe des Fitzarch par millions ! Littéralement ! Le Grand Architecte à sa descendance plus qu'assurée ! Un Fitzarch de plus ou de moins, qu'est-ce que ça change ?! Notre père ne sait même pas que j'existe ! Je ne peux même pas le rencontrer ! Alors… 

Michaël secoua la tête, incapable de finir sa phrase alors qu'un sanglot s'étouffait dans sa gorge. Brenna se leva, la mine sévère, toisant son petit frère. 

— Il faut que tu comprennes quelque chose, jeune Fitzarch, dit el. Raphaël est une simple vertu donc el n'a jamais su te le faire comprendre mais… Tu n'es pas maître de ta destinée. En fait, tu n'as aucun droit dessus. 

Michaël se figea, ses yeux ouverts d'effroi. 

— Tu es un Fitzarch, répéta Brenna. Le Grand Architecte t'a donné la vie. En échange, tu lui appartiens. Tu dois le servir. Tu comprends ? Le servir, lui obéir parfaitement. C'est el qui décide de ta destinée, pas toi. Par sa grâce, tu seras placé sous l'aile d'un de tes grands-frères, comme le veut la tradition. Tu obéiras à ce grand frère comme tu obéiras à Père el-même. Ainsi va le Grand Dessein. 

Michaël resta bouche bée.

— Tu avais besoin d'entendre cela, comprit Brenna. Personne n'a osé te le dire avant. Tu étais le petit jouet d'Ennead, le petit trophée de Raphaël. Un nobl'aile parmi les nobl'ailes, insouciant. Au fond, c'est pas ta faute tout ça, c'est la sienne. Mais il n'est pas trop tard pour rectifier le tir. 

Le halo mauve de Brenna scintilla. Siriniel revint alors dans la pièce, un sourire étrange aux lèvres. 

— Un travail de rééducation et de repentance doit être fait, c'est évident. Mais ne t'en fais pas petit frère, je vais veiller sur toi à présent. Comme on te l'a expliqué hier, tu es ici dans la cour de l'archange-roi Padmilia. Tu le serviras à travers moi. Siriniel va t'accompagner sur ta nouvelle affectation. La domination agrandit son faux sourire. 

— Brenna ! s'exclama finalement Michaël. Siriniel me juge responsable de la mort de son frère ! On peut pas travailler ensemble !

— Cela fait partie du processus de guérison, sourit Brenna. Pour Siriniel comme pour toi. Vous devez tous les deux faire un effort pour surmonter vos difficultés émotionnelles et comportementales, surtout toi. 

— C'est pas sérieux ! plaida Michaël en se levant à son tour. C'est une blague ?!

— Te souviens-tu même du visage de Const ? demanda alors Siriniel, le regard toujours foudroyant. 

— Siri ! dit Michaël. On se connaît toi et moi ! On a travaillé ensemble bien des fois ! N'est-ce pas ? C'est un métier tendu qu'on faisait ! On sait tous les deux qu'il vaut mieux nous épargner ce genre de… de douleur, si on veut se réconcilier un jour. 

— Ne t'en fais pas, dit alors Brenna. Tu ne peux plus travailler à la table stratégique évidemment. Tu seras donc affecté à la conciergerie de la cour de Padmilia. Un poste de service idéal pour toi. Comme je l'ai dit, Siriniel va tout t'expliquer. 

— La conciergerie ? 

Brenna gloussa. 

— Une affectation humble, mais très utile pour la cour, dit el. En vérité, la conciergerie est indispensable pour permettre aux courtisans de Padmilia de faire leur travail sans avoir à s'occuper de tâches annexes. Tu seras utile, important. 

— Par EL, soupira Michaël. Je suis un guerrier… un guerrier…

Siriniel s'approcha de la jeune vertu à petit pas et prit gentiment sa main, l'entrainant vers la sortie du nid. 

— Par ici, petit démon…



La cour de l'archange-roi Padmilia était installée dans la tour Fleur du Palais d'Argent. Cette tour, faite d'argent, comme le reste du Palais, scintillait sous la lumière éternelle du rayon des âmes. La façade était striée d'or, de richesse, de beauté. À l'intérieur, des jardins couverts de fleurs dorées embaumaient les courants d'air sur lesquels les élohim volaient. Les galeries où circulaient les courtisans étaient couvertes d'art, de peintures, de dessins du sol au plafond. Les paysages représentés bruissaient sous le vent. Dans certains cas, des créatures étaient dépeintes, animées, comme vivantes sur la toile. Sur les plafonds, des cartes du cosmos de Malkouth s'étendaient, dévoilant des planètes, des étoiles, des galaxies entières. Entre les jardins se trouvaient des centaines de salons luxueux et colorés. Beaucoup étaient creusés dans des gemmes géantes, du quartz rose, de l'améthyste. À l'intérieur, des principautés exposaient leurs dernières collections mode, des vêtements élégants et éthérés, des ornements scintillants, des bijoux de lumière. Les courtisans s'en régalaient, accompagnant leur shopping par des mets et des boissons élaborés, raffinés. Malgré le monde, le domaine de Padmilia restait calme, presque feutré, perpétuellement balayé d'une brise très douce. 

C'était donc un environnement idéal pour roupiller.

— Debout !

Michaël sursauta, terrifié. Recroquevillé sur la banquette de la salle des concierges, el subit la fureur de Siriniel. 

— Qu'est-ce qui ne va pas chez toi ?! Tu dors en plein service ?

— Je fais des cauchemars, dit Michaël, les paupières lourdes, la bouche pâteuse. 

— Tu n'es pas dans un état normal ! Tu as bu du jus de grenade encore ?

— Euh... eh bien... 

— Stupide ! Stupide ! cria Siriniel, qui donna des claques au jeune Fitzarch. 

Michaël voulu riposter. El le pouvait. Comment cette simple domination osait-el frapper un fils du Grand Architecte ? Pourtant, non, Michaël bloqua et esquiva les coups tant qu'el put, sans les rendre. Plutôt, la jeune vertu se précipita à quatre pattes vers la sortie. Au comptoir, Siriniel n'oserait plus l'attaquer. Cela offenserait grandement les courtisans. Ainsi, Michaël sortit du back-office, s'agrippa au comptoir et se hissa debout. Siriniel, furieux, partit à toute vitesse, seul EL sait où. Michaël se recoiffa sous les regards hallucinés de ses collègues vertus. 

Dans le hall d'accueil de la Cour de Padmilia, des centaines d'élohim patientaient et discutaient, assis sur de grands divans de soie rose brodés de fil d'argent. Un conseil de défense avait été annoncé aujourd'hui pour coordonner les efforts de guerre des souverains des cieux face à la nouvelle titanomachie. Mais ce conseil de guerre, au lieu d'être présenté par un général de la Milice Céleste, avait été confié à Padmilia. Michaël avait découvert cela avec grande surprise. Padmilia n'était pas un milicien, et même si el avait combattu lors de la Seconde Brisure, el n'était pas un guerrier. El était un ange, un ange explorateur certes, et souverain de Shemesh, paraissait-il, mais pas un guerrier !

Pourtant, Padmilia avait animé et accueillit de nombreux conseils de guerre dans son domaine lors des précédentes titanomachies. El qui fêtait d'habitude les semaines de la mort avait été choisi par le Grand Architecte pour réunir les archanges ou leurs dignitaires et leur parler du conflit. 

Circonspect et angoissé, Michaël accueillit les milliers d'invités un à un dans la tour de Padmilia, pianotant sur une tablette de cristal pour enregistrer leur arrivée et leur donner les clés de leurs appartements. L'accueil n'était que le début. Bientôt, il faudrait répondre aux millions de requêtes des courtisans et des invités. Ainsi, dans le réseau EL, les vertus de la conciergerie appelaient leurs contacts à toute vitesse, ou répondaient en ligne aux besoins de chacun, leurs halos scintillant frénétiquement. 

— Bienvenue à la Cour de Padmilia.

"Allô ? Il me faut une table à l'heure de l'empereur."

"Il me faut une navette pour sept passagers pour dans trente minutes. Oui je sais… Mais c'est urgent" 

"C'est plein ? Comment ça c'est plein ? On a des tables pré-réservés je vous signale !"

— Bienvenue à la Cour de Padmilia.

"Oui bon ! Je suis un représentant de la Cour de Padmilia ! Pas Jonjon l'ange de centième génération !"

"Non votre excellence, nous ne fournissons pas de jus de grenade au-delà des limites spécifiées sur la charte des visiteurs"

"Mon Seigneur, si vous n'avez pas reçu d'invitation c'est que vous n'êtes pas invité…"

— Bienvenue à la Cour de Padmilia.

"Non je ne peux pas vous passer Padmilia"

— Excusez-moi ? Excusez-moi !?

Michaël leva les yeux, cligna des paupières. Devant el se tenait une domination blonde. El se tendit, mais vit qu'il ne s'agissait pas de Siriniel. C'était un invité. Son halo était très puissant et el possédait trois paires d'ailes, indiquant qu'el avait reçu la bénédiction de l'archangélat, octroyée uniquement par le Grand Architecte aux souverains des cieux. 

— Archange-domination Id... Idiel ? lut Michaël dans son halo d'or.

— Oui, Idiel ! dit l'archange-domination en croisant les bras, outré. 

Michaël bégaya. Idiel ? Idiel l'ancien archange-roi de Hessed ? Rien que ça ? Michaël resta un instant pantois. Idiel était un héros de la Seconde Brisure, enfin, surtout de l'après-cataclysme. El avait à el seul arrêté les oracles guerriers lors du chaos de la reconstruction. El avait refondé le Ministère, la Pythia. Le Grand Architecte avait fait d'el un Saint Archange pour qu'el règne sur Hessed. El était un devin surpuissant, un génie thaumaturgique. Mais… el n'était plus roi depuis longtemps. À vrai dire, Michaël le croyait mort. Mais non, el était bien là : une domination-archange au halo éblouissant, perché au sommet d'une petite silhouette, fluette. Un visage en forme de cœur, des cheveux blond platine. Un regard constamment fiévreux. 

— Que puis-je faire pour vous, votre excellence ? finit par demander Michaël. 

— La décoration de mon nid est catastrophique ! geignit Idiel. Mes critères n'ont pas été respectés ! Or, l'aménagement de mon nid est crucial pour mes visions ! Vous comprenez ? Je fais des crises pythiques sinon ! Et là je suis sur le point d'en faire une ! Et ce sera votre faute !

Une crise pythique ? Qu'est-ce que c'est que ça encore ? se demanda Michaël. 

— Oh, par EL, s'étonna la jeune vertu. Je suis désolée, votre excellence. Je vais m'en occuper immédiatement. Puis-je faire quelque chose pour vous soulager en attendant ?

Idiel ouvrit grand les yeux. Michaël se figea. En une fraction de secondes, la domination attrapa l'écharpe de soie que portait Michaël autour du cou, pour la nouer autour de sa tête, masquant ses yeux. Puis Idiel s'assit par terre, en tailleur, et attendit sans rien dire. 

Michaël gloussa. Il y a quelques semaines, cette rencontre l'aurait effrayé. Mais el en avait déjà fait bien d'autres, bien plus désagréables. Comme dans tous les cas qu'el avait rencontré, plaisants ou déplaisants, Michaël ne fit aucune remarque et se contenta de poursuivre son travail. Son crâne pulsa de douleur. El eut un léger vertige. Trop de cauchemars, trop peu de sommeil. Dans un flash, el revit l'échelle. Non, non… Dans le réseau, Michaël consulta l'heure. Quelques minutes à attendre encore. À tenir. Siriniel réapparut, gardant ses yeux froids rivés sur Michaël. Une erreur de sa part et le jeune Fitzarch serait traîné dans le back-office pour recevoir une punition. Les invités continuèrent à défiler au comptoir. 

— Bienvenue à la Cour de Padmilia. 

— Il se passe quoi là ?! Je suis venu pour la semaine de la mode moi !

— La semaine de la mode a été repoussée à cause de la titanomachie.

— Pas chez les autres archanges !

— Chez Padmilia si… Invité suivant ! Bienvenue à la Cour de Padmilia. Archange Eidolon ? Oui, voici vos clés. Invité suivant !

— Hey.

Michaël leva les yeux et découvrit l'ange Negara et son frère, le capitaine Renfra. Michaël sautilla, tout joyeux de les voir. Mais son enthousiasme n'était pas réciproque.

— Tu veux quoi Michaël ? demanda Negara, la mine fermée. 

— Ton aide ! dit la jeune vertu. Merci d'être venu. On peut discuter au back-office deux minutes ?

— Non, dit brusquement Renfra. 

Michaël observa sa mine renfrognée, sans comprendre. 

— Tu nous as laissé tomber Michaël, expliqua le capitaine lorsque la vertu l'interrogea. Du jour au lendemain, tu as déserté du service d'Aradim et de notre équipe de bulle d'O, tout ça pour rejoindre l'adversaire. 

— Oui ! dit Negara. Padmilia est notre adversaire !

— C'est notre aîné ! s'indigna Michaël. Un Fitzarch comme nous !

— T'es stupide par EL ! s'énerva Renfra. Tu ne comprends rien au Palais d'Argent !

Michaël soupira, refoulant une vague de mépris. 

— Et tout ça pour quoi ? continua Renfra. Devenir concierge ? Alors que tu aurais pu faire la gloire de notre équipe et être un leader dans le support des anges gardiens ?

— Je suis une vertu-militante ! se défendit Michaël. Il me fallait trouver un endroit où Milicent est présent ! Mon frère Brenna...

— Tu parles, tu veux juste monter l'échelle jusqu'aux pieds de notre Père. Et tu es prêt à trahir pour cela !

— Padmilia n'a rien à voir avec le Milicent en plus, se moqua de nouveau Negara. El a fait de toi un concierge, Quel rapport avec Milicent hein ?!

Michaël serra les dents, frustré, froid. 

— Mon métier n'a rien de stupide, dit-el. Les concierges comme moi rencontrent beaucoup de monde, énormément de monde même. Vous ne vous doutez même pas…

— Pourquoi tu nous as demandé de venir Michaël ? le coupa Negara, crispé par l'agacement.

— Je fais des cauchemars, dit alors la jeune vertu. J'ai besoin de ton oniromancie pour m'en débarrasser. 

Negara leva un sourcil. 

— Ce n'est pas mon problème, dit l'ange sèchement. 

— Tu es notre adversaire maintenant, ajouta Renfra. 

Negara, souffla Michaël, qui retenait difficilement son émoi. Ces cauchemars ont commencé juste après que tu te sois entraîné sur mon esprit. Si tu ne m'aides pas ici et maintenant, j'irai me plaindre à qui veut l'entendre que c'est la raison pour laquelle j'ai fui l'école d'Aradim. Je suis sûr que cela finira par tomber dans certaines oreilles… Je rencontre tant de monde ici.

Les anges restèrent pantois quelques instants. 

Démon ! grogna Negara.

— Tu n'es qu'un concierge, dit Renfra. Qui ira t'écouter ? Les nobl'ailes ici sont à peine conscients de ton existence, et els n'ont pas envie de te connaitre. 

— Tu as tort, sourit Michaël. Je m'occupe des courtisans de Padmilia, qui vivent ici. Je leur parle tous les jours. Ce sont mes petits habitués et… els aiment bien parler potins avec moi. Tu peux comprendre pourquoi non ? 

Démon ! Démon ! geignit alors Negara. Je reviendrai à l'heure du fou pour t'aider. Mais après cela plus rien ! Finit. Tu es notre ennemi !

El et son frère déguerpirent finalement, la mine rougie par la colère, mais les lèvres pincées par la crainte. Michaël réprima un sourire. Mais ses cœurs coulèrent dans sa poitrine, alourdis par une profonde tristesse. Sa gorge se serra, ses yeux devinrent humides. El déglutit. Siriniel se tenait encore à quelques mètres. El avait tout vu, tout entendu. Michaël ne lui adressa pas un regard. 

— Bienvenue à la Cour de Padmilia.

— Bonjour.

— Ange… Pomiel ?

Un sursaut serra les cœurs de Michaël. Une douche d'adrénaline déferla dans son corps sans même qu'el ne comprenne pourquoi. Dans son estomac, son akshoka se mit à vibrer. 

— Je viens chercher mes clés, s'il vous plaît, dit l'ange Pomiel. 

Michaël observa l'invité, tentant de comprendre son propre trouble. L'ange était banal. El avait des cheveux roses cours, des yeux rieurs et un visage de lutin. El était enveloppé dans une robe en tulle rose. 

— C'est étrange, je... je vois dans mon système que vous êtes enregistré en tant qu'archange, finit par constater Michaël en jetant un œil au réseau EL. 

— Je ne suis plus archange, dit Pomiel, la mine crispée. J'ai été démis de l'archangélat. 

— Oh... Euh... mince...

— Pas la peine de me prendre en pitié, je vous prie, dit Pomiel sèchement. Donnez-moi mes clés, rapidement. Et corrigez mes infos dans votre foutu système. 

Michaël s'exécuta en souriant poliment, retenant la nausée donnée par son akshoka qui tournait à toute vitesse dans son estomac. Mais dans son esprit, sa mémoire, refoulée des années durant, réémergea. 

Pomiel de Sicad... Archange Pomiel de Sicad...

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