04-La loi d'urgence by alia__ | World Anvil Manuscripts | World Anvil

Les ombres de l'académie

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Iselia possédait un flair, un instinct qui en général ne la trompait pas. En tout cas, c’est ce qu’elle aimait se dire. C’est son instinct qui lui permit de fuir Méridie lorsque ses pouvoirs se sont manifestés, et se sauver d’un père abusif. Et c’est encore cet instinct qui lui a permis de voir la vraie nature de Vari, et de mettre un terme à leur relation avant leur mariage. Et même si elle le côtoyait tous les jours, à son grand dam, dans l’académie, elle parvenait à maintenir une certaine distance entre eux, et à rester professionnelle, pour le bien des étudiants. Et malgré tout, la voici désormais l’espionnant, filant à travers les couloirs endormis de l’école dans les pas de celui qui fut un jour l’homme qu’elle aimait.

Iselia ne comprenait rien aux évènements de ces derniers mois, voire de ces dernières années. Et pourtant, elle avait vu et vécu déjà beaucoup de choses. Mais ces attaques au sein de l’académie la contrariaient. Tout comme les magistères, elle voulait mener sa propre enquête, car personne ne peut menacer impunément ses élèves, et espérer s’en sortir. Et comme tout au long de sa vie, son instinct guidait ses pas, et elle observait la silhouette de Vari s’engouffrer dans une salle désaffectée dans les sous-sols de l’académie. C’était une ancienne bibliothèque, fermée désormais aux élèves, car ses étagères renfermaient de nombreux écrits de Déa, aujourd’hui interdits. Tous les professeurs de cette académie connaissaient l’existence de cette pièce. Eyron avait refusé de détruire les ouvrages, arguant que brûler les livres n’était jamais la solution. C’était une décision controversée, Iselia elle-même ne savait pas quoi en penser.

Elle avait étudié dans ces murs, et à une époque où apprendre la magie du vide et du sang demeurait aussi normale que les magies créatrices et spirituelles. Et pourtant, elle avait vu le danger que pouvaient représenter un tel pouvoir, et le sacrifice nécessaire de préserver les futures générations. Et le fait de savoir Vari dans un pareil endroit ne calma pas ses inquiétudes.

Elle s’approcha, et colla son oreille contre la porte. Elle perçut quelques murmures incompréhensibles, et deux voix distinctes. Prenant son courage à deux mains, elle entrouvrit légèrement la porte, juste assez pour apercevoir l’intérieur de son œil droit. La poussière couvrait les bibliothèques qui servaient de maisons aux diverses araignées présentes. Mais ce qui attira le regard d’Iselia, ce fut cette étrange lumière violette, cachée derrière les immenses étagères, et qui émanait du centre de la pièce.

 

— Comment ça "elle est partie" ?

 

Iselia fronça les sourcils. Elle ne reconnaissait pas la voix féminine, et juvénile qui venait de s’exprimer.

 

— Les magistères sont arrivés. Toscan l’a emmené, avec Eis et Grims.

 

Jamais la voix de Vari n’avait procuré autant de sueur froide à Iselia. Il parlait d’Anasteria, sans l’ombre d’un doute. Et elle n’aimait pas ça.

 

— Vous me fatiguez, Vari. Dois-je faire tout moi-même ? Et votre gamin ne peut-il pas agir ?

— Je ne suis pas un gamin ! Je suis à peine plus jeune que vous.

 

Iselia se figea en attendant la voix de Davos. Pourquoi se trouve-t-il ici avec Vari ? Et à qui les deux s’adressaient-ils ?

 

— Tu es un gamin. C’est parce que tu es incapable de gérer le pouvoir qu’on t’offre que tout ceci arrive. Et maintenant, grâce à tes actions, et ton inaptitude, on a une héritière qui s’échappe.

— Vous aviez la possibilité de la tuer, siffla Davos, et vous n’avez rien fait. Vous… Vous avez tué ma sœur et laissé Ana en vie !

— J’aurais pu la tuer si la moitié de l’académie n’était pas venue la sauver. De plus, je ne contrôle pas les ombres. Ce n’est quand même pas ma faute si ta sœur traînait avec Anasteria, et s’est retrouvée happée. Les ombres l’ont aussi prise pour cible.

 

Davos grogna, mais un lourd silence s’installa. Iselia hésitait. Elle pouvait enfoncer la porte pour voir la troisième personne et attraper sur le fait Vari et Davos. Mais peut-être qu’elle en apprendrait plus sur cette histoire d’héritière si elle attendait un peu. Pourquoi voulaient-ils mettre la main sur Anasteria ? Qu’avait-elle fait pour être une telle cible ? Iselia entendit un soupir qui venait de la troisième personne.

 

— Le patriarche a donné ses ordres pour vous deux : trouvez Anasteria et ramenez-la. Et si vous ne pouvez pas, tuez-la. Mieux vaut une héritière morte que contre nous.

— Elle se trouve avec Toscan ! s’exclama Vari. C’est un magistère et un héritier qui connait déjà ses pouvoirs.

— Hé bien, c’est le moment de demander de l’aide, non ? Je pensais que vous aviez dit que les sombremages étaient présents en nombre ici. Un héritier peut mourir, crois-moi. Et leur sang reste rouge comme le nôtre.

— Bien madame…

— Oh ! Et une dernière chose. La prochaine fois, soyez discret et regardez derrière vous. Vous avez une invitée.

 

La lumière violette s’estompa, mais Iselia s’éloignait déjà de la porte. Elle devait prévenir Masilda de tout ceci. Mais la porte s’ouvrit aussitôt en grand, et Vari apparut devant elle. Une aura sombre entourait sa silhouette et son regard noir perça l’âme d’Iselia. Mais elle ne se laissa pas distraire. Elle ferma les yeux et attrapa une fiole dans sa poche. Elle le brisa, et les énergies se concentrèrent en un point, puis elle murmura.

 

— Uira.

 

Elle sentit la puissance de son esprit lui parvenir et elle tendit le bras. Un éclair jaillit de sa paume pour tenter de frapper Vari. Mais il esquiva, laissant derrière lui une trace de brûlure sur le mur. Jamais elle n’avait combattu Vari, mais elle le connaissait. Des années et des années de missions à ses côtés en tant que chevalière-mage l’avaient préparé à ce duel. Elle évitait chacun de ses coups, savait où il allait, mais l’inverse demeurait tout aussi vrai. Les deux énergies magiques s’entrechoquaient dans un déluge de couleurs et de bruits. Mais Iselia parvint à prendre l’avantage. Un de ses éclairs toucha Vari au ventre qui posa un genou à terre. Iselia effectua quelques pas en arrière dans l’étroit couloir, et chargea sa prochaine attaque. Mais un sort l’atteignit par surprise à l’épaule. Elle lâcha un cri de douleur, et elle réalisa qu’elle avait oublié Davos. Il se tenait dans le couloir, baigné aussi par l’énergie de l’ombre. Tout comme Vari, il avait choisi de fusionner avec l’une d’elles. Iselia grimaça. Combien de sombremages avaient infiltré l’académie ? Elle ne pouvait pas se battre contre eux. Elle possédait au moins le même niveau de maitrise que Vari, mais si Davos s’en mêlait aussi… Il avait beau être jeune, et ne pas faire partie des meilleurs élèves, il restait un mage. Et il pouvait aider Vari. Ce dernier se releva avec un petit sourire en coin.

 

— Je croyais que tu ne voulais plus qu’on se voie, Iselia, lâcha-t-il.

— Apparemment, j’avais raison, siffla-t-elle. Tu es un sombremage…

— On est simplement des mages, rétorqua Vari. Ce n’est pas parce qu’on se bat différemment qu’on est mauvais.

— Si la fusion avec les ombres a été interdite par Lucia, c’est pour une bonne raison.

— Iselia, soupira Vari. Je ne veux pas me battre contre toi. Pas après ce qu’on a vécu.

— Tu parles comme si notre histoire valait le coup d’être raconté.

— Ce n’est pas le cas ?

— Non pas pour moi ! J’ai toujours su que quelque chose n’allait pas chez toi… Mais ça ? C’est quoi cette histoire, Vari ? Ce… Patriarche ? Cette fille à qui tu parlais… Et Anasteria ! Pourquoi veux-tu t’en prendre à elle ? C’est une enfant.

— Ce n’est pas une enfant. Mais tu penses toujours que nos élèves sont des enfants qui attendent d’être sauvés. Tu cherches tellement un sens à ta vie que tu essayes d’être une mère de substitution pour eux. Anasteria est une adolescente, presque une adulte maintenant. Et sa survie menace un fragile équilibre. Si je la laisse faire ce qu’elle entend, elle pourrait détruire tellement de choses.

— Tu es fou, souffla Iselia. Et je me demande comment je n’ai pas pu le voir plus tôt.

— Iselia, plaida Vari. Écoute-moi. Je sais que je passe pour le méchant de l’histoire. Mais ce n’est pas vrai. La magie n’est jamais mauvaise, c’est ce qu’on en fait qui peut être condamnable.

— Je me souviens des enseignements de Déa, je n’ai pas besoin de toi.

— J’utilise les ombres simplement pour protéger notre empire.

— Tu te rends compte qu’à cause de toi, une adolescente est décédée ? Que tu as attaqué des élèves qui n’avaient rien demandé ? Anasteria, Johan, et Ivona ont tous subi tes erreurs !

— Oui, la mort de Laurène est regrettable. Et je suis désolé que Johan et Ivona endurent ça, car ils sont simplement amis avec Anasteria. Et je l’aime beaucoup ! J’adore Anasteria, mais ce n’est pas mon choix. Elle a un grand pouvoir, Iselia. Son sang demeure trop puissant, si on ne l’arrête pas, elle va amener le chaos dans notre monde.

— Le chaos… ?

— Si tu viens avec moi, je t’expliquerai tout.

 

Vari s’approcha d’elle, et tendit sa main. Et pendant un instant, elle vit le même regard et le sourire qui l’avait charmé des années auparavant. Elle avait envie de prendre cette main et de la serrer. Elle voulait pouvoir se dire que tout ce qu’elle imaginait était faux, que Vari n’avait pas fait une telle horreur et qu’il se battait pour une cause juste.

 

— Iselia, tu me connais. Je sais… Je sais que les choses ne sont pas bien terminées entre nous, mais tu ne peux pas oublier toute notre histoire.

 

Non, elle ne pouvait pas, même si elle le voulait. Des années auprès d’une personne ne peuvent pas s’effacer si facilement. Elle prit la main de Vari dont le sourire s’élargit. Elle contempla un instant ce sourire qu’elle grava dans sa mémoire. Puis elle vit le visage de Vari se tordre de douleur lorsque l’électricité parcourut le bras d’Iselia pour le toucher.

Elle ne pouvait pas effacer ses erreurs, et cette histoire commune, mais elle pouvait encore sauver ses élèves. Profitant de la surprise, Iselia s’éclipsa dans le couloir pour trouver le plus rapidement possible Masilda, car désormais le temps leur était compté.

 

 

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